Chaque année, de nombreux agriculteurs prennent leur retraite, sans pour autant avoir de successeur ou de repreneur pour leur exploitation. Face aux nombreuses parties prenantes souhaitant se réapproprier les exploitations agricoles pour y bâtir divers projets immobiliers, le maintien des terres agricoles est un enjeu majeur.
La dernière ferme située sur la ville de Lyon s’est retrouvée dans cette situation mais a trouvé un repreneur en la société coopérative d’intérêt collectif « La Ferme de Lyon ». Rencontre avec Céline Riolo des Fermes Partagées et Victor Grange, banquier itinérant à la Nef, tous les deux acteurs du développement et du financement de cette SCIC, encore peu reconnue
Accompagnement des fermes coopératives : rencontre avec Céline Riolo, co-directrice générale des Fermes Partagées
Bonjour Céline, Pouvez-vous nous parler de la genèse de La ferme de Lyon ?
Céline Riolo : La ferme de Lyon est une ferme historique qui appartient à la famille Perraud depuis 4 générations. Le dernier exploitant avait atteint l’âge de la retraite et n’avait personne pour reprendre la ferme. En tant que dernière ferme possédant 4 hectares de terrain sur la ville de Lyon, il y avait une forte concurrence sur l’utilisation du foncier et donc un véritable enjeu de reprise et de maintien des terres agricoles, soutenu par les communes de Lyon et de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or et la Métropole de Lyon.
Beaucoup de candidats se sont positionnés au fil des années dont Simon Pascault qui travaillait pour la ferme. Il en était tombé amoureux et a envisagé sa reprise mais une question persistait : comment créer une structure pour réunir l’ensemble des parties prenantes ? C’est là qu’est venue l’idée de la SCIC pour mettre en lien les collectivités, les porteurs de projets au sein de la ferme et les consommateurs.
Du côté de Fermes Partagées, nous avons joué un rôle d’accompagnement des porteurs de projet à la structuration collective. En tant qu’experts en accompagnement des activités agricoles sous forme coopérative, nous avions un rôle de fil rouge. Notre objectif était de représenter le projet et de faire communiquer toutes les parties prenantes (Ferme de Lyon, Métropole de Lyon, CA, la commune de St Cyr au Mont d’Or, Rhône Développement Initiative, la Nef, etc.) pour permettre au projet d’advenir et de se concrétiser. Nous avons également fait le lien avec la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural), qui veille au maintien du foncier agricole et qui peut intervenir pour s’assurer de la destination des fonds et du respect des prix agricoles.
La ferme de Lyon fait partie du réseau “Fermes partagées”, concrètement quelle est la mission de votre réseau ?
CR : Les Fermes Partagées interviennent à l’intersection de 2 mondes : celui de l’ESS – Economie Sociale et Solidaire – et de l’agriculture. Les modèles coopératifs en agriculture étant innovant, Les Fermes Partagées a pour objectif d’accompagner les activités agricoles souhaitant adopter le statut de SCOP (société coopérative) ou de SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) Ces statuts permettent :
- D’améliorer la protection sociale des paysans et paysannes en bénéficiant de droits sociaux au titre des assurances chômage, retraite et maladie comme tous les salariés.
- De faciliter la transmission des fermes en rémunérant le travail et non le capital – les réserves sont impartageables et les parts sociales ne sont pas revalorisées (l’apport initial des associés ne peut pas faire l’objet de plus-value).
- De combiner des activités connexes à la production agricole sous un même statut améliorant la viabilité des fermes
- De déployer des diversité d’ateliers et d’activités pour augmenter la résilience de ces fermes face aux aléas
Autrement dit, la nature même du statut coopératif permet d’envisager la mise en commun de l’outil de production au service de sa pérennité. Nous accompagnons l’émergence et la structuration de ces activités, nous les accompagnons dans le long terme et menons une action de plaidoyer pour les faire reconnaître auprès des instances agricoles.
Financement des fermes coopératives : témoignages croisés de Victor Grange, banquier itinérant et Céline Riolo
Bonjour Victor, pourquoi te semblait-t-il important de financer le projet de reprise de la Ferme de Lyon ?
Victor Grange : Le projet de la Ferme de Lyon répond au souhait des sociétaires de financer des projets de production en agriculture biologique.
Du côté financement, ce projet est novateur de par son statut particulier qui mêle le statut Scop et l’activité agricole, ce qui n’est pas commun dans le monde agricole.
Ce projet collectif est une expérimentation qui permet d’entreprendre en mutualisant les moyens, mutualisant les risques et par l’ensemble des ateliers proposer une offre commune mais diversifiée.
Aussi nous sommes sur un projet de ferme qui se trouve en milieu urbain ce qui est assez rare et il semblait naturel à la Nef de soutenir la reprise de ce lieu symbolique. Le fait de rapprocher la production des consommateurs a un double impact, une meilleure qualité de vie pour les habitants et l’agriculteur par l’existence d’un espace non artificialisé en milieu urbain et de proposer des produits frais de qualité tout en limitant les transports.
Aujourd’hui les agriculteurs en installation qui viennent nous voir sont confrontés à des problématiques de foncier et de coût des outils de production. Les projets collectifs permettent d’avoir un apport plus important et ainsi diminuer l’emprunt, ils diluent le risque en multipliant les ateliers de production et mutualisent les outils ce qui crée des économies d’échelle.
Céline, comment la Nef vous a concrètement accompagné dans ce projet ?
CR : Nous avions besoin de constituer un capital et de construire un plan de financement pour la Ferme de Lyon afin de permettre :
- Le développement de son outil de production et notamment de l’atelier maraichage et le déploiement d’un atelier d’’élevage ultra-extensif de porcs en plein air sous les vergers.
- Le passage d’une production agricole conventionnelle vers une production biologique
- Le développement des ressources humaines avec l’embauche de nouveaux collaborateurs
La Nef est notamment intervenue sur le financement à court terme de l’outil de production pour permettre les investissements et le début de l’exploitation.
Comment se passe votre relation avec la Nef ?
CR : C’est la première fois que nous travaillons avec la Nef, en lien avec l’Union Régionale des SCOP.
Fermes partagées vient développer une forme d’innovation sociale où se rencontrent Economie Sociale et Solidaire et secteur agricole pour servir l’intérêt collectif et permettre le maintien agricole. Il y a encore des choses à co-construire au niveau du financement et notamment des aides apportées à ces projets.
Il y a des réalités dont les acteurs financiers du secteur agricole ont conscience (rentes basses, peu de marges) qui sont encore un frein pour les acteurs financiers en dehors du secteur agricole. Aujourd’hui, quand nous allons voir des banques traditionnelles, nous ne rentrons pas dans les cases out nous ne sommes pas mis dans les bonnes cases. Il y a un besoin de créer des mécanismes et des outils financiers adaptés à nos réalités.
Il était donc important pour nous de faire appel à un partenaire financier capable de prendre en compte nos particularités et prêt à prendre des risques. Nous sommes très contents que ce projet ait pu aboutir.”
VG : L’accompagnement pour ce type de projet est essentiel, outre les accompagnateurs classiques, nos partenaires : Terre de liens, Atelier paysan, URSCOP, Fermes partagées… peuvent être utiles pour bien préparer son installation.
Céline, quelles sont les perspectives d’évolution pour le réseau Fermes partagées et La ferme de Lyon ?
CR : La ferme de Lyon est dans des années charnières de son développement. Elle est en plein déploiement de ses outils de production, elle diversifie sa production. Elle a besoin de trouver un équilibre dans toutes les phases d’installation mais nous voyons que l’équipe est bien entourée. La ferme de Lyon attire les regards et l’intérêt de personnes qui souhaitent y travailler et proposer des projets au sein de la ferme. La ferme a notamment recruté toute une équipe pour le maraîchage. Nous espérons que cela créera des vocations et que ces expériences seront des tremplins en faveur de l’attractivité des métiers agricoles !
Au niveau de Fermes Partagées, nous accompagnons Le courtil de Quincieux, notre 2nde SCIC sur la métropole de Lyon, sur l’acquisition, la transformation et l’exploitation d’une ferme par un collectif de 4 producteurs. Au-delà, nous intervenons aujourd’hui dans toute la région AURA auprès de plusieurs fermes collectives.
Nous avons également développé un outil coopératif d’activité d’emploi – CAE- pour des projets plus individuels qui souhaiteraient intégrer des fermes avant de se lancer dans une association. Parfois ces projets aboutissent à la création d’une SCIC, parfois sous d’autres formes. Nous ne manquons pas de demandes et de sollicitations, ce qui manque c’est la reconnaissance administrative et sociale de ces nouvelles formes d’installations agricoles.
La Nef et Terre de liens : un engagement commun pour la sauvegarde des fermes
La Nef œuvre depuis de nombreuses années à la sauvegarde des fermes en France. Nous sommes partenaire historique de la foncière Terre de Liens qui récolte du capital auprès d’épargnants pour acheter des fermes et les préserver de la disparition. Les fermes sont ensuite louées à des paysans engagés dans une agriculture de proximité, biologique et à taille humaine. Terre de Liens est également bénéficiaire du partage d’intérêts à la Nef.
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Crédit photo principale : ©Laurence Danière – Métropole de Lyon